Pourquoi consacrer le premier article de la rubrique « parentalité » aux grands-parents ? D’abord parce que la « grand-parentalité » est une étape importante dans la vie de parent. Quand on devient parent, on l’est pour la vie entière : on le voit bien dans cet article, les grands-parents souhaitent réunir leurs enfants et leurs petits-enfants, qui ont une large place dans leur cœur. Ensuite, parce qu’à travers la garde de leurs petits-enfants, ils permettent à leurs enfants de poursuivre leur carrière professionnelle, devenant ainsi partie prenante du système d’organisation du travail. Dans certains cas, ils sont un pilier de l’équilibre de vie de leurs enfants, une soupape pour gérer les imprévus, un dernier recours : même si sur le plan relationnel et familial, leur contribution unique est précieuse et inestimable, d’un point de vue économique et sociétal, leur travail est « invisible ». Paradoxalement, leur aide et leur soutien concrets contribuent à entretenir le système : ils en sont une variable d’ajustement, en quelque sorte, évitant peut-être ainsi aux organisations et aux jeunes parents de faire évoluer plus radicalement la prise en compte de la parentalité au travail. C’est pourquoi j’ai voulu mettre le projecteur sur ce travail invisible qu’ils accomplissent dans l’ombre et sur la pression qui en résulte parfois.
La saison estivale se termine, les grands-parents reprennent le fil de leur vie « ordinaire ». Comment ont-ils vécu les vacances familiales ? J’ai croisé beaucoup de grands-parents cet été, jeunes et moins jeunes, retraités ou non, et tous ont spontanément évoqué le sujet ! Leurs réflexions et parfois leur désarroi, m’ont marquée : dans l’ensemble, ils sont ravis d’accueillir leurs enfants et petits-enfants chez eux et veulent faire au mieux pour qu’ils s’y sentent bien. Mais parfois, au fil des jours, leur enthousiasme et leur patience s’émoussent : s’agit-il d’une mission impossible ?
« C’était sympa, mais cela fait du bien d’être un peu au calme, quand même ! »
Clairement, recevoir ses petits-enfants chez soi, c’est fatigant : tous le disent, parfois avec un léger sentiment de culpabilité… Mais les vécus sont divers.
Petit tour d’horizon
« Chic, ils arrivent ; ouf ! ils repartent ! »
Ce sont les « chicoufs », grands-parents à 100% le temps des vacances : cris de joie et accueil formidable à l’arrivée, grandes embrassades … on pense au plat préféré de chacun, on joue aux jeux de société avec les grands, on ne lésine pas sur les câlins et les histoires avec les petits. Promenades, activités, siestes… sans oublier la logistique, les petits bobos. Et puis, la fatigue commence à s’accumuler, pour les petits et pour les grands. Les petits-enfants, c’est bruyant et ça s’agite beaucoup ! Un peu d’énervement, parfois des coups de gueule, des rythmes qui se décalent et ne coïncident pas… on s’en sort avec de la bonne volonté et de l’humour, chacun s’adapte comme il peut. Et puis vient le moment de la fin : toujours trop tôt mais juste à temps pour éviter l’épuisement général ! Le soufflé se dégonfle… « Quand revenez-vous ? »
« On ne va pas se compliquer la vie ! »
Ce sont les « décontractés », qui jonglent entre leur propre vie de couple et leur vie de grands-parents, et qui gardent les petits-enfants pendant que les parents travaillent. Les consignes des parents ne sont pas toujours respectées à la lettre, les pâtes figurent souvent au menu, il y a beaucoup de petites exceptions qui alimentent la « provision de bons souvenirs » ! Les grands-parents se remettent à faire des conduites (piscine, stages et activités diverses), à remplir des caddies, à tenir les horaires, à prendre des baby-sitters pour sortir le soir. Ils doivent changer leurs habitudes et s’adapter… j’ai bien ri cet été au cours d’un dîner, lorsqu’une amie grand-mère a subitement regardé sa montre et s’est levée de table affolée, en disant : « Oh là là, il est minuit, il faut partir ! On avait promis à la baby-sitter d’être rentrés pour 23h ! » Il leur faut aussi trouver de quoi occuper leurs petits-enfants, tout en gérant l’épineuse question des écrans : les activités simples – cuisine, pâte à modeler, coloriage – ont souvent la cote, mais cela ne dure jamais très longtemps ! Quant aux petits travaux à faire ensemble en discutant – jardinage, bricolage, peinture – ils ont un franc succès, à condition de ne pas être trop pressés ou exigeants : « C’était trop bien ! »
« Ils sont chez nous et c’est nous qui commandons ! »
Ce sont les « dirigistes », qui souhaitent que le cadre défini soit maintenu. Ils essaient coûte que coûte d’imposer un semblant d’ordre et de discipline. Pas facile au-delà d’un certain nombre d’enfants, surtout si les modes éducatifs des parents ne concordent pas. La patience des grands-parents est mise à rude épreuve : « Ils n’en font qu’à leur tête et ne viennent jamais quand on les appelle à table : ils m’énervent ! » Il faut gérer les disputes au sein des fratries et les frictions entre cousins, l’énergie débordante des uns et la propension à faire des bêtises des autres. Les habitudes sont bousculées, les objets déplacés, il y a parfois de la casse, des phrases lâchées trop vite : « Ce sont de vrais petits sauvages ! » Un grand-père me disait avec humour et philosophie : « A chaque fois qu’ils viennent en vacances chez moi, c’est la valse des objets cassés. Quand le dernier d’entre eux aura été cassé, alors je n’aurai plus qu’à disparaître à mon tour ! »
« On a un programme bien rempli, c’est quand les vacances déjà ? »
Ce sont les « surchargés », qui ont des agendas de ministres : « On n’est pas disponibles à cette date, ensuite on va chez des amis, puis j’ai des rendez-vous… » Parfois ils sont à la retraite et veulent en profiter à fond pour faire enfin tout ce qui leur plaît et rattraper le temps perdu. Certains peuvent aussi avoir des contraintes fortes à gérer, devant s’occuper également de leurs parents âgés. D’autres sont encore en activité professionnelle et ont tout simplement besoin d’avoir de vraies vacances pour se reposer. Enfin, il y en a qui ne veulent pas devenir des grands-parents toujours disponibles pour leurs enfants : ils n’ont pas envie de se sentir liés par des contraintes plus ou moins imposées par défaut. Ils ne réservent pas les vacances scolaires par principe à leurs petits-enfants, même s’ils sont contents de les voir et de passer quelques moments privilégiés avec eux. « On a déjà donné avec nos enfants, chacun son tour ! »
Pas de situation type
Peut-être les grands-parents se retrouveront-t-ils un peu dans chacune de ces évocations, les situations et les configurations familiales étant très variables. J’ai constaté qu’au sein des couples, certains sont plus patients que d’autres ou savent mieux prendre du recul et gérer la charge mentale et les obligations : parfois c’est le grand-père qui relativise la situation et temporise, et parfois, c’est plutôt la grand-mère… parité respectée ! La vie de grands-parents, sous l’impulsion des petits-enfants, est une expérience riche en apprentissages, car elle bouscule et oblige à s’adapter et à trouver des solutions.
En définitive, la grand-parentalité, comme la parentalité dont elle est le prolongement, est une succession de phases, avec des moments charnières liés aux évolutions familiales. Vient un jour où certains grands-parents se plaignent de ne plus assez voir leurs petits-enfants, soit que leurs parents n’aient plus de « problèmes de garde », soit que les petits-enfants aient pris le large par rapport à la vie familiale et se soient éloignés d’eux : les besoins et les aspirations des uns et des autres ont évolué.
Un sujet de société
Ces chers grands-parents, qui jouent un rôle clé dans la vie de leurs petits-enfants et les aiment tant, pour la plupart ! Sans leur soutien concret, comment feraient tant de parents pour continuer à mener de front vie familiale et vie professionnelle en période de vacances ? Sont-ils suffisamment reconnus et remerciés pour leur dévouement et leur accueil, eux qui répondent si souvent aux besoins de leurs enfants jonglant entre travail et famille ? Doivent-ils poser des limites pour ne pas se laisser envahir et faire valoir qu’il ne s’agit pas d’un dû mais d’un service rendu ? De façon certaine, il leur faut apprendre à trouver la juste attitude permettant de se retrouver en famille avec plaisir et de passer de bons moments ensemble tout en préservant leur équilibre personnel… et leur santé !
Le soutien des grands-parents à leurs enfants devient d’ailleurs aujourd’hui un réel sujet de société, notamment à travers la question des « aidants familiaux » dont les besoins commencent à être reconnus et pris en compte par les entreprises et les pouvoirs publics. Il est intéressant de noter que parmi les seniors, les grands-parents sont désormais identifiés comme une cible marketing prometteuse, du fait qu’ils accueillent régulièrement leurs petits-enfants chez eux et les gardent souvent, en semaine ou pendant les vacances. Ils n’hésitent pas à s’équiper en matériel de puériculture, revisitent les rayons “enfant” et “bébé” des grandes surfaces, offrent des abonnements à leurs petits-enfants, les emmènent au musée, organisent des escapades ou des sorties avec eux. Ils découvrent ainsi la palette des nouveautés apparues depuis l’époque où ils étaient jeunes parents et le marché bénéficie du désir qu’ils ont pour la plupart de rendre leurs petits-enfants heureux… et de les gâter « juste un petit peu » !