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Psychologie de la Décision (3/3) : Influencer les choix, orienter les comportements.

Cet article est le dernier d’une trilogie sur la psychologie de la décision (son histoire, ses concepts, ses applications concrètes). Après avoir expliqué comment la compréhension des processus de jugement et de choix pouvait nous aider à prendre de meilleures décisions, regardons maintenant comment elle peut être exploitée pour influencer les choix et orienter les comportements.

Les découvertes des sciences comportementales offrent des perspectives considérables en termes d’amélioration des techniques d’influence et de communication. En effet, la compréhension des processus psychologiques en amont de nos décisions permet d’optimiser à la fois la pertinence et la présentation des messages transmis, pour obtenir avec plus d’efficacité les résultats désirés. Les organisations publiques et privées l’ont bien compris et exploitent désormais largement ces découvertes pour créer de nouveaux outils en vue de servir l’intérêt général ou bien des intérêts particuliers.

La conception de ces outils s’appuie sur :

– la prise en compte des limites de nos capacités cognitives et de leurs conséquences sur la façon dont nous percevons et traitons l’information

– la connaissance des ressorts psychologiques à activer pour encourager des comportements spécifiques.

Le principe de ces outils est simple et consiste à agencer délibérément l’information dans l’environnement en fonction des objectifs à atteindre : c’est ce qu’on appelle « l’architecture des choix ».

Je vous propose de découvrir dans cet article les fondements de l’architecture des choix et la façon dont cette approche permet :

  • d’intervenir pour influencer les choix et orienter les comportements
  • de résoudre des problèmes collectifs en agissant au niveau des comportements individuels
  • d’améliorer votre mode de communication ou la représentation des situations rencontrées pour servir des objectifs spécifiques
  • de vous donner les moyens de passer plus facilement de l’intention à l’action.

La structuration de l’environnement décisionnel selon des objectifs définis active en effet des processus psychologiques spécifiques conduisant de façon prévisible aux comportements désirés.  Comprendre les mécanismes qui opèrent permet d’exploiter l’influence du contexte sur les décisions pour orienter les comportements et les choix de façon intentionnelle.

L’architecture des choix : de quoi s’agit-il ?

L’expression « architecture des choix » est née avec le concept du nudge, mais sa portée est en réalité beaucoup plus large : elle se réfère en effet à la structuration de l’environnement décisionnel inhérente à toute situation de choix.

De même qu’un architecte des bâtiments, par la façon dont il structure et aménage l’espace, influence la perception de ses caractéristiques (exemple : les volumes, par le jeu des couleurs, de l’éclairage et de la disposition des ouvertures) et l’utilisation qu’en font les occupants (arbitrages vie collective / intimité, organisation autour des espaces communs, etc.), l’architecte des choix exerce son influence à travers la façon dont il structure l’environnement décisionnel et présente l’information concernant les options.

Exemple : Une démarche similaire, des objectifs différents

Dans son ouvrage « The Elements of Choice : Why the Way We Decide Matters » (2021), Eric Johnson expose de façon détaillée les multiples dimensions de l’architecture des choix, que les travaux en psychologie de la décision ont progressivement révélées.

C’est en sélectionnant les options et en déterminant la nature des informations communiquées que l’architecte des choix structure la situation décisionnelle : c’est lui qui fixe le nombre d’options à présenter, l’ordre dans lequel elles seront proposées, les caractéristiques à mettre en avant, les explications à fournir, etc.

Il choisit également la façon dont ces options seront présentées : leur description, les catégories auxquelles elles sont rattachées, l’utilisation de visuels à l’appui des textes, etc.

Cet agencement de l’environnement décisionnel influence directement notre représentation de la situation et, à travers elle, nos choix et nos comportements. Rappelons-nous en effet que nos capacités cognitives limitées nous conduisent généralement :

– à porter notre attention sur les informations saillantes dans l’environnement

– à adopter la stratégie du moindre effort pour rassembler les informations pertinentes et les évaluer.

Pour éviter la surcharge cognitive, nous nous contentons ainsi souvent de solutions dites « suffisamment satisfaisantes »[1] sans avoir toujours vérifié que les informations utilisées étaient importantes ou complètes. Nous avons tendance à nous arrêter à l’information présentée et aux évocations qu’elle sollicite dans notre mémoire, en stoppant les recherches complémentaires dès que l’exercice devient trop complexe. Par exemple, en ce qui me concerne, je me sens très désemparée par la présentation des appareils photos sur les sites marchands : seuls le type d’appareil, le prix et les notes des clients ont un sens pour moi, et je serais naturellement tentée de fonder ma pré-sélection exclusivement sur ces critères !

Rappelons également que, dans un grand nombre de situations, nous avons tendance à traiter l’information en mode « automatique » plutôt qu’approfondi : c’est la porte ouverte aux biais cognitifs, qui vont activer des ressorts psychologiques orientant les comportements de façon prévisible.

La connaissance de ces ressorts psychologiques permet de concevoir des dispositifs incitatifs efficaces, peu coûteux et faciles à mettre en œuvre : par exemple, du fait de notre forte tendance à nous conformer aux normes sociales, il suffit parfois de partager une information concernant le comportement d’autrui pour faire adopter un comportement similaire.

Tel est le but des messages qu’on trouve souvent affichés dans les salles de bain d’hôtels : « 75% des personnes qui ont occupé cette chambre avant vous ont réutilisé leur serviette de toilette plusieurs fois ». Peut-être de tels messages vous ont-ils déjà conduit vous-même à adopter le comportement souhaité, à savoir conserver la même serviette sur plusieurs jours : un geste bénéfique pour l’environnement (intérêt général) et pour la rentabilité de l’établissement (réduction des coûts).

Aussi l’architecture des choix est-elle une approche particulièrement utile pour résoudre des problèmes dont la solution réside dans la modification des comportements individuels. C’est la raison pour laquelle de plus en plus d’organisations – entreprises, collectivités et pouvoirs publics – y ont recours.

Une approche adoptée par les organisations pour orienter les comportements individuels

La compréhension fine des ressorts psychologiques sous-jacents à nos décisions permet de concevoir des dispositifs sur mesure pour faire évoluer les comportements individuels et collectifs dans une direction souhaitée. Les cas d’usage sont très nombreux et nous prendrons deux exemples pour en expliquer le fonctionnement : l’un concerne une problématique d’intérêt général, l’autre les actes d’achat sur des sites marchands.

Résoudre un problème d’intérêt général : l’exemple du don du sang

L’Etablissement Français du Sang (EFS) est confronté à une situation récurrente : les besoins en produits sanguins ne cessent de croître et les dons sont insuffisants pour y répondre. Il est donc indispensable d’encourager davantage de personnes à participer aux collectes organisées par les collectivités et les entreprises.

La solution à ce problème collectif (comment mobiliser plus de donneurs potentiels ?) est liée aux comportements individuels. L’EFS a donc choisi de s’appuyer sur les sciences comportementales pour améliorer ses campagnes de communication et encourager le passage à l’action d’un plus grand nombre de donneurs potentiels.

Avant d’analyser la démarche adoptée, regardez ces quelques affiches utilisées dans les années 2010-2015 pour inviter à donner son sang.

Affiches appelant à donner son sang (2010-2015)

D’après ce que vous observez :

Quelles sont les informations mises en avant ? Que retiendront les lecteurs ? Quelles sont les indications données sur les démarches à accomplir ? Comment est présenté le lien entre le don de sang individuel et les vies sauvées ? Y a-t-il des questions importantes qui restent sans réponse ? Ces affiches vous inciteraient-elles à vous déplacer pour aller donner votre sang ?

Vous aurez peut-être remarqué que ces messages font référence aux besoins des malades et cherchent à motiver par un appel à la générosité, en jouant sur les émotions et sur le sentiment d’urgence (« dernière collecte », « toutes les 2 secondes »). Ils sont exprimés sous forme de slogans ou d’injonctions directes. Les indications pratiques sont très succinctes et les formulations plutôt génériques. Certains visuels peuvent être source de stress ou d’inquiétude, voire même provoquer le rejet (piqûre).

On peut penser qu’au regard des attentes exprimées par les donneurs potentiels et des freins qui les retiennent de venir donner leur sang, ces divers messages sont incomplets et peu incitatifs.

En effet, plusieurs études sur le comportement des donneurs potentiels et la nature des informations dont ils ont besoin pour passer à l’action ont mis en évidence :

  • les freins au don du sang que sont le manque de temps et les problèmes logistiques liés aux lieux et aux moments des collectes.
  • le manque de connaissances concernant le don du sang en général
  • le besoin de dédramatiser l’acte médical du don et de rassurer le donneur
  • les fortes attentes concernant la valeur du don et ses bénéfices collectifs (vies sauvées)
  • la matérialisation de la destination du sang donné comme véritable levier du passage à l’acte.

Regardez maintenant le tract ci-dessous, qui fait partie d’un kit de communication mis à disposition des organisateurs de collectes par l’EFS depuis peu.

Document en support d’une collecte de sang organisée à St Péray (2022).

Comment ce tract prend-il en compte les différents éléments évoqués à propos des affiches présentées ci-dessus ? 

Le document semble structuré pour alléger la charge cognitive du lecteur et limiter les efforts à faire pour comprendre le message et savoir comment passer à l’action :

– les informations sont classées visuellement, avec d’un côté celles qui concernent le donneur et de l’autre celles qui relèvent des indications pratiques

– la compréhension et la mémorisation des messages sont facilitées par l’utilisation d’un langage simple et concret, avec des visuels explicites à l’appui

– les modalités de prise de rendez-vous sont indiquées clairement, sous plusieurs formes

L’attention est dirigée vers des informations saillantes qui visent à lever des freins comportementaux et faciliter le passage à l’action. Elles sont concrètes et concernent la durée à prévoir (1 heure), les modalités pratiques (4 étapes), la valeur du don individuel (3 vies sauvées) et sa destination (3 usages), le lieu et les horaires de la collecte (en caractères gras et très visibles).

Des précisions sont également apportées sur la façon de gagner du temps (prise de rendez-vous en amont) et d’éviter un déplacement inutile (vérifications préalables en ligne). La photo représentant des personnages souriants contribue à dédramatiser la démarche.

Au final, l’attention des donneurs potentiels est captée par la présentation saillante des informations les plus pertinentes pour répondre à leurs attentes et lever leurs freins comportementaux. Il est probable qu’ils évitent tout effort cognitif additionnel et utilisent les informations fournies sans se poser de questions supplémentaires (est-ce que cela fait mal ? est-ce que je serai fatigué(e) ensuite ?), se contentant donc de faire un choix « suffisamment satisfaisant ».

Cette campagne de communication a été déclinée sous plusieurs formes. Nous n’avons malheureusement pas d’informations sur ses résultats concrets en termes de mobilisation des donneurs de sang, mais savons que les comportements évoluent, grâce aux mesures d’impact mises en place par l’EFS en partenariat avec le BVA qui le conseille sur l’utilisation des sciences comportementales.

Cet exemple illustre la façon dont l’architecture des choix peut être utilisée par les organisations publiques et privées confrontées à des problématiques collectives. Les pouvoirs publics ont recours à cette approche depuis déjà longtemps pour lutter contre les incivilités, favoriser le don d’organe ou le paiement des cotisations sociales en ligne, par exemple. Aujourd’hui, la DITP promeut activement la diffusion des sciences comportementales pour améliorer l’efficacité des politiques publiques et favoriser la transformation. De son côté, la SNCF, la « reine des nudges » utilise largement l’apport des sciences comportementales, qu’il s’agisse de fluidifier les flux de passagers (lumières verte ou rouge en haut des escalators, messages « préparez votre billet »), traiter des problèmes de propreté (murs peints pour dissuader les gens d’uriner dans les couloirs) ou lutter contre l’oubli des bagages (check-list dans les wagons), etc.

Soulignons pour conclure que l’architecture des choix est une démarche d’expérimentation, qui se décompose en plusieurs étapes :

  • description du problème à résoudre et des modifications comportementales attendues
  • identification des leviers comportementaux à prendre en compte (freins et leviers de passage à l’action)
  • spécification des outils de mesure des résultats
  • sélection des informations à communiquer de façon saillante
  • structuration du message et des outils de communication visuelle et/ou verbale
  • test du dispositif et mesure des résultats
  • extension à grande échelle, le cas échéant.

Entreprises et organisations s’appuient sur l’architecture des choix dans leurs interactions avec leurs clients et leurs parties prenantes (fournisseurs, partenaires, usagers), avec des utilisations visant par exemple à faciliter les démarches, simplifier l’accès à l’information, réduire les coûts ou développer les ventes. En comparaison des autres supports de communication, les sites internet offrent l’avantage de faciliter le test des dispositifs mis en place et leur mesure d’impact.

Orienter vers l’achat le parcours des visiteurs d’un site internet

Les sciences comportementales favorisent le développement d’outils marketing complémentaires qui trouvent un vaste champ d’application au niveau de la conception des interfaces digitales. Les visiteurs d’un site internet sont souvent pressés et la façon dont ils naviguent entre les différentes rubriques et pages d’un site est déterminante pour leur comportement d’achat : ils ont besoin de trouver facilement les informations qu’ils cherchent et de passer avec fluidité d’une section à l’autre. Les concepteurs de sites ont pour objectif d’en optimiser l’ergonomie et de faciliter le parcours utilisateur, dans le respect d’un cahier des charges… qui ne sert pas toujours l’intérêt du client : combien de sites rendent difficiles à trouver (voire inexistantes) les adresses de contact par téléphone ou les démarches d’annulation d’un abonnement !

Il est difficile de résister aux dispositifs qui exploitent les failles de notre raisonnement humain afin de communiquer de façon optimisée et de pousser à l’action dans une direction donnée. Pour améliorer la performance des sites internet, les architectes des choix cherchent à capter notre attention pour l’orienter vers des informations saillantes et s’efforcent d’activer des leviers comportementaux spécifiques : les sites de vente en ligne ont largement recours à ces techniques dans le but d’augmenter les temps d’usage, de déclencher des actes d’achat ou d’inciter à consommer plus.

Voyons quelques exemples de failles exploitées par les concepteurs de sites pour orienter notre comportement.

Créer un sentiment d’urgence :

Nous préférons systématiquement une gratification immédiate à une gratification future, même de plus grande importance ou valeur. C’est ce qui nous pousse aux achats impulsifs : nous devons faire de gros efforts de volonté pour résister aux tentations immédiates.

Une façon courante d’activer ce ressort psychologique consiste à créer un sentiment d’urgence, pour déclencher un acte d’achat : on peut par exemple limiter la durée d’une offre de livraison accélérée ou le maintien d’un produit dans le panier client, afficher un nombre de produits en stock très faible, activer des alertes indiquant que d’autres personnes s’intéressent aux mêmes produits que vous, etc.

Imposer des choix

Lorsqu’une option nous est présentée comme sélectionnée par défaut, nous avons tendance à en faire un point de référence, que nous conserverons naturellement, pour éviter tout effort cognitif supplémentaire.

Les sites internet regorgent d’options par défaut, que nous avons spontanément tendance à accepter, surtout si, pour évaluer les autres options, nous devons lire ou rechercher des informations supplémentaires, présentées de façon compliquée. Nous acceptons ainsi facilement par défaut des modes de livraison, la lecture automatique de vidéos, la captation de nos données personnelles, le paramétrage de nos comptes utilisateurs, etc.

Créer un sentiment de gain ou de perte

Nous avons tendance à évaluer les options de choix en termes de gains et de pertes par rapport à un point de référence (cf. article 1/3). Il en résulte plusieurs effets : nous donnons plus de poids à une perte potentielle qu’à un gain potentiel (c’est l’aversion à la perte) ; quand nous possédons un objet, nous lui accordons plus de valeur que lorsqu’il ne nous appartient pas (c’est l’effet de dotation) ; nous évaluons la situation en fonction d’un point de référence, qui sert d’ancrage (effet d’ancrage).

Ainsi, certains sites indiquent-ils très visiblement qu’il est possible d’annuler gratuitement sa réservation jusqu’au dernier moment, levant tout risque de faire une perte. Le système du « panier » conduit à s’approprier en partie l’objet : ne pas confirmer l’achat revient à une perte, d’une valeur psychologique supérieure à sa valeur réelle. Enfin, toute indication d’une promotion (prix barré, offre de réduction temporaire, bon d’achat, etc.) est perçue comme l’occasion d’obtenir un gain (effet d’ancrage). Ces différents effets dissuadent d’évaluer les options sur des critères que par ailleurs nous pourrions juger plus pertinents.

En définitive, ces différentes techniques cumulent leurs effets pour nous conduire à naviguer progressivement vers la validation de nos achats, auxquels nous aurons pu ajouter des options supplémentaires proposées au fil de la navigation et que nous avons acceptées sans faire les efforts cognitifs nécessaires pour résister aux sollicitations.

Plus généralement, certaines de ces techniques sont aussi utilisées par les organisations à des fins non marchandes, pour faciliter les démarches des usagers, faire accepter des évolutions de procédures, modifier les habitudes de comportement en vue de réduire les coûts, etc.

La compréhension des ressorts psychologiques en amont de nos décisions offre ainsi aux organisations de puissants leviers pour orienter les comportements, dans le but de servir aussi bien leurs propres intérêts que l’intérêt général.

Mais savez-vous qu’à votre insu, vous orientez vous aussi les choix de votre entourage – et les vôtres – par la façon dont vous structurez l’information que vous présentez ? Sans vous en rendre compte, vous êtes vous-mêmes des « architectes des choix ». Et il vous est possible d’exploiter vos propres ressorts psychologiques pour mieux atteindre vos objectifs et tenir vos engagements personnels.

Et à titre personnel ?

Chacun d’entre nous est effectivement un architecte des choix, sans en avoir conscience la plupart du temps : vous aussi vous orchestrez donc les choix par la manière dont vous présentez l’information ! Essayons de comprendre comment : cela vous permettra de gagner en lucidité et, d’apprendre à modifier certains de vos comportements, si vous le souhaitez, pour notamment passer plus facilement de l’intention à l’action.

Tous architectes des choix

« Veux-tu une glace au chocolat, à la fraise ou à la vanille ? » En général, votre interlocuteur va choisir l’un des parfums proposés, sans même penser à d’autres possibilités. La façon dont vous lui avez présenté la situation a influencé son choix : vous lui avez fourni un cadre de référence, vous avez orienté son attention et vous avez guidé la nature des informations qu’il aura été chercher en mémoire.

Dans nos interactions, quelles que soient les informations à communiquer, nous devons les présenter sous une forme ou sous une autre : il est impossible de faire autrement ! Nous agençons ainsi l’environnement décisionnel de notre entourage, ce qui fait de nous des « architectes des choix » : par les leviers comportementaux que nous activons, nous orientons leurs choix.

En nous appuyant sur l’analyse d’Eric Johnson dans son ouvrage « The Elements of Choice », voyons maintenant, comment nous influençons les choix de notre entourage par la façon dont nous leur présentons l’information.

Prendre une décision implique d’avoir en amont défini et décrit les options envisageables : dans nos vies privées, en famille, lorsque nous organisons des projets ou avons des décisions à prendre, nous soumettons des propositions et présentons des options. Ainsi, dans une même situation, nous pouvons sans y penser donner l’impression que nous enfermons notre interlocuteur dans un pré-choix que nous avons fait pour lui ou bien que nous le laissons faire son propre choix. Dire à un enfant « Il fait froid : veux-tu mettre ton manteau ? » ou « Il fait froid : veux-tu mettre ton manteau tout seul ou veux-tu que je t’aide ? » ne produira pas le même effet, tous les parents le savent bien !

Il arrive également que nous formulions nos choix en mettant en avant des options par défaut : « Et si nous allions nous promener ? Je vous propose d’aller voir les canards à la rivière, à moins que vous ne préfériez autre chose ». La plupart du temps, la proposition sera acceptée en l’état. Faire une contre-proposition nous demanderait un effort cognitif supplémentaire et nous préférons de ce fait valider l’option par défaut. En réalité, il s’agit ici d’une des nombreuses façons dont nous mettons des options en avant, souvent sans nous en rendre compte. Il en existe bien d’autres, comme par exemple s’appuyer sur la recommandation d’une personne de référence – mon pharmacien, ma voisine – cautionnant une option particulière, indépendamment de la pertinence de son jugement à ce sujet. Il faut savoir également que toute option présentée en premier dans un choix dispose d’un avantage certain, du fait de notre tendance spontanée à générer un grand nombre d’arguments en sa faveur.

Ces quelques exemples montrent à quel point nos choix sont déterminés par la structuration de l’information qui nous est présentée. Nos préférences varient en fonction du contexte et nous devons humblement admettre qu’elles se construisent à partir des informations que nous traitons. Il s’agit là d’un constat fondamental, qui doit nous inciter à systématiquement multiplier les perspectives lorsque nous prenons des décisions. En adoptant des formulations différentes, nous serons plus à même de choisir le cadre qui nous permettra de prendre une meilleure décision.

La bonne nouvelle, c’est que les sciences comportementales peuvent également nous aider à mettre en place dans nos vies quotidiennes des comportements nous permettant d’atteindre plus facilement nos objectifs.

Comment lever nos freins comportementaux personnels ?

Katy Milkman nous propose dans « How to change : The Science of Getting from Where You are to Where You Want to Be » (2021) toute une batterie de moyens pour nous aider à passer de l’intention à l’action quand nous décidons de changer un de nos comportements. Elle y décrit des situations types que nous pouvons rencontrer et en décrypte les ressorts psychologiques.

Partant du principe qu’il n’existe pas de solution toute faite pour résoudre les problèmes décrits, elle insiste sur le fait que chacun doit commencer par identifier les freins comportementaux personnels qui l’empêchent de mettre en place le changement désiré. Parmi les obstacles au changement qu’elle évoque, j’en présenterai deux à titre d’exemples : l’impulsivité et le manque de confiance en soi.

Ne vous arrive-t-il pas parfois de regarder votre série préférée alors que vous aviez prévu de sortir prendre l’air… et de finir par ne pas sortir du tout car il fait nuit ? Nous succombons souvent à des tentations immédiates aux dépens d’un comportement que nous estimons pourtant préférable. Notre impulsivité est la conséquence d’un phénomène psychologique classique qui nous conduit à privilégier un bénéfice immédiat plutôt qu’un bénéfice futur qui lui est supérieur : il s’agit du biais du temps présent, biais cognitif qui introduit une distorsion dans l’évaluation relative des options présentes et futures. Cela nous conduit parfois à procrastiner : « Je commence mon régime demain ! »

Pour lutter contre notre impulsivité et réussir à mettre en place des comportements nouveaux, désirés mais peu motivants, Katy Milkman nous conseille de regrouper systématiquement deux activités en conflit de préférence : par exemple, je peux décider de n’écouter mon podcast favori que lorsque je marche dehors, 30 minutes par jour ! Ainsi, je pourrai atteindre mes objectifs à long terme et tenir mes bonnes résolutions au quotidien, puisque mon activité physique sera couplée avec l’envie d’écouter mon podcast.

Par ailleurs, sachez qu’il existe un effet moteur lié au moment choisi pour prendre de bonnes résolutions : votre anniversaire, le début des vacances, le 1er janvier, un déménagement… en réalité, toute date qui marque un commencement. En effet, ces moments charnières nous conduisent à envisager la situation comme si nous effacions le passif de la période précédente : il s’agit alors d’un moment favorable pour mettre en place de nouveaux comportements car l’avenir se présente comme une page blanche à écrire !

Un autre frein psychologique qui nous empêche parfois d’agir pour atteindre nos objectifs est le manque de confiance en nous. Nous avons alors tendance à demander autour de nous des conseils pour savoir comment avancer. Or des études montrent qu’il est plus efficace de donner des conseils à des personnes confrontées à des problèmes semblables aux nôtres plutôt que de leur en demander. Cette pratique aurait pour effet d’augmenter la confiance que nous avons dans nos propres capacités tout en nous incitant à imaginer des stratégies qui pourraient nous être applicables. Notre engagement est par ailleurs plus fort : nous nous sentons obligés de mettre en œuvre ces stratégies pour ne pas éprouver un sentiment d’imposture. Katy Milkman nous encourage ainsi à constituer des groupes de personnes « conseil » pour échanger sur des problématiques communes : une excellente façon de booster sa confiance en soi tout en étant exposé à de nouvelles perspectives.

Ce tour d’horizon vous aura permis d’appréhender le potentiel des sciences comportementales pour apprendre à influencer les choix et les comportements individuels de façon délibérée. S’agit-il de devenir des manipulateurs ? La question est ouverte et mérite d’être débattue. En tout état de cause, mieux comprendre la psychologie de la décision permet d’être plus lucide et plus à même de se prémunir des tentatives de manipulation à notre égard.

En résumé :

  • La compréhension des processus en amont de nos décisions a contribué à élargir la panoplie d’outils permettant d’influencer les comportements individuels. Ces outils font principalement appel à deux ressorts psychologiques : ils allègent la charge cognitive et tirent parti des failles de notre raisonnement.
  • Ces outils sont la plupart du temps utilisés pour résoudre des problèmes collectifs dont la solution repose sur la modification des comportements individuels.
  • La démarche consiste à structurer l’information dans l’environnement pour orienter les comportements dans la direction souhaitée, en activant des mécanismes de décision inconscients. Simple et peu coûteuse, elle nécessite que les objectifs soient clairement définis et que des mesures d’impact soient mises en place systématiquement.
  • Nous sommes tous architectes des choix et capables de comprendre en quoi nous pouvons influencer les comportements, y compris le nôtre, pour servir notre intérêt personnel ou celui des autres.

[1] L’expression se réfère à la stratégie de choix consistant à adopter une option dès lors qu’elle répond de manière « suffisamment satisfaisante » à nos critères. Cette notion (en anglais « satisficing ») va de pair avec le concept de rationalité limitée (Herbert Simon, 1957) qui remet en cause les présupposés de la théorie économique classique (cf. « Psychologie de la Décision » article 1/3).